Entre économie de défense et économie de guerre nationale et européenne
Ancien article de juillet 2023
l’heure où le chancelier allemand, impliqué à nouveau dans les réalités d’intervention et dont l’Etat ne sera désormais peut-être plus blâmé par la France sur le droit du sang, parle aussi d’économie de défense, à l’heure où les institutions européennes passent outre les traités en situation de crise allant au-delà des sanctions et blocus qui étaient ses seules armes, à l’heure où une guerre de haute intensité est à installée aux frontières de l’UE dans une Ukraine qui a su réagir moins étonnamment que l’on peut le penser suite aux investissements faits depuis 2014, il est important de rappeler certaines réalités entre économie de défense et économie de guerre dans une Europe unie dans la diversité.
Par François CHARLES
Economiste, conseil en stratégie et management, relations européennes, Président de l’I.R.C.E., ancien responsables d’affaires industrielles internationales à la DGA
La France et les pays membres de l’UE et même de l’OTAN ne sont pas en guerre directe. L’étaient-ils contre « l’Etat » islamique loin de nos frontières, dont en Afrique, ou en Afghanistan en opération extérieure ? Etions-nous en guerre contre le Covid ? Etait-ce opportun d’employer ce mot en France pour toute forme d’agression sauf à porter une certaine confusion, ou au contraire mobiliser les populations, les entreprises et les territoires sur les possibles réquisitions, les blocages ou réservations de fabrication comme aux Etats-Unis, qui pourtant étaient rassemblées autrefois en France sous le couvert de la défense économique et de la défense civile ?
Désormais le canon réveille particulièrement certains pays en centre Europe qui veulent prendre une nouvelle revanche avec la Russie en entrainant les pays fondateurs de l’UE, plus à l’ouest réalisant bien qu’ils ne peuvent intervenir seuls et qui ont besoin de développer leur économie de guerre pour soutenir indirectement un conflit de haute intensité, comme pour la guerre d’Espagne puis la seconde guerre mondiale s’agissant des Etats-Unis et même de la France qui n’avait pu livrer les commandes d’avion de la Pologne.
Si pour certains contre leaders, l’OTAN était soit disant en mort cérébrale alors qu’en simple veille, il est nécessaire de maintenir une veille permanente sur l’économie de défense pour éviter les contres coup trop brutaux comme c’est le cas dans de nombreux pays européens, sans nous reposer uniquement sur la dissuasion nucléaire, réservée ou partagée.
Devant la consommation en obus, canons, chars et autres matériels constatée depuis 2022, l’opportunité est là afin de penser autrement pour agir autrement (ed. Chiron) certains développements, certaines innovations, l’accélération des cycles mais aussi pour faire des choix de fabrication plus rapides, pour acheter en interne ou en externe à coûts et efficacité optimisés, être plus réactif, choisir le juste besoin, la bonne analyse de la valeur pour savoir s’il faut par exemple construire un avion ou un drone, voire un système, analyser les bons sujets de ce que l’on veut vraiment et ce dont on n’a pas besoin entre matrice BCG et courbe de Gauss tout en gardant en mémoire que l’originalité fait parfois la différence. Certes l’innovation doit pousser la technologie et l’efficacité mais il convient aussi de continuer à savoir réaliser des matériels simples d’emploi, facilement réparables et peu chers notamment au regard des armes qui peuvent aussi les détruire.
Il faut aussi penser à l’après guerre et la gestion des matériels comme au retour à la paix même s’il faut auparavant gagner la guerre avec peut-être aussi certaines prises de guerre comme la France a su, en 1945, récupérer certaines compétences pour ses moteurs d’avions et d’hélicoptères.
C’est une opportunité pour revoir ou consolider les relations état-industrie dans une équation couts objectifs, livres ouverts, partages des risques, bonus et malus et solidarité momentanée ou permanente avec discussions sur les réserves de R&D dans une certaine résilience, comme il doit être important de le trouver dans les politiques et moyens de financement.
C’est une opportunité de réaliser des développements et des innovations intelligentes à travers l’Europe sur des savoir-faire reconnus et non avec saupoudrage géographique, et pourquoi pas avec les GAFAM avant notamment qu’ils ne s’engouffrent seuls dans la défense. C’est une occasion de reconnaitre les avantages d’une possible mono-construction forte soutenue autrement notamment financièrement et collectivement pour maintenir un effet d’échelle, avant de penser automatiquement projets en coopération qui sont, dans la défense, toujours plus chers que dans le civil.
C’est une chance pour une logique « European by design » en amont des processus avec segmentation des choix, dépendance dans l’interdépendance et gestion des dérogations nécessaires pour maintenir l’efficacité des armes tout en employant et adaptant au maximum des technologies civiles avec gestion du risque coût, délais, performance.
C’est une opportunité d’innovation en termes de maintien en condition opérationnelle décloisonnée entre besoins nationaux et extérieurs, en pensant aussi stratégie et tactique de fabrication et de logistique avec les clients partout dans le monde pour le besoin des forces nationales et européennes.
C’est une opportunité pour l’environnement du champ de bataille dont la robotique, le numérique et l’espace qui profiteront en interdépendance avec l’industrie civile sans forcément parler de finalité de destruction.
C’est une opportunité de normalisation et d’interdépendance entre les matériels avec recherche d’uniformisation de gestion de configuration raisonnable mais non forcée, surtout dans des identités différentes et sensibles, même si cela est parfois la solution.
L’économie de guerre et de défense passe bien entendu par l’énergie d’une part pour les matériels, avec toujours une ligne si possible responsable de l’environnement, mais réaliste de l’emploi des matériels sur des théâtres d’opération, avec des combinaisons croisées des savoirs faire mais aussi des dynamiques accélérées comme par exemples sur les batteries, mais aussi d’autre part pour les territoires et les populations concernant l’origine mixée des sources d’alimentation.
C’est une opportunité de développement des réserves, non seulement civiles ou territoriales, mais également industrielles pour aller soutenir les militaires sur le terrain, voire de développer une nouvelle période de sensibilisation militaire en adéquation avec ce nouveau temps.
C’est aussi une opportunité d’innovation politique pour faire avancer les décisions communes notamment sur les autorisations à l’intérieur de l’UE comme pour exportations à l’international, en respect, cohérence et réalisme des valeurs affichées.
Il s’agit aussi de revoir les dynamiques financières pour les industries de défense et duales, à savoir civiles militaires mais aussi publiques privées, de savoir bloquer ou compenser l’inflation ou la taxonomie sur certains domaines chauds, de savoir pratiquer l’innovation financière en confiance comme le soutien par des titrisations.
Cette liste pourrait être longue. La guerre économique et l’économie de guerre doivent également et surtout profiter de tous les fondements de l’intelligence économique pour les entreprises et autres organisations, en passant jusqu’au niveau de l’UE, où l’on se bat souvent tous les jours dans l’environnement concurrentiel, mais également avec les partenaires, que ce soit pour les coopérations, des collaborations ou des alliances. N’oublions pas la 6e force de Porter que sont les Etats ou institutions, qui régulent mais peuvent déclencher les conflits et leurs effets directs ou sous-jacents sur les politiques générales.