Candidature de l’Ukraine dans l’UE : pas qu’un simple processus
Après l’achat d’armes dans un domaine pourtant en dehors de ses compétences, comme pour les médicaments, la Présidente de la Commission européenne et quelques chefs d’états et de gouvernement en visite à Kiev semblent aller, en réaction et avec dérogation, au secours du soldat Ukraine pour l’intégration d’un pays en guerre pourtant considéré il y a peu comme non intégrable tant que les frontières ne seraient pas rétablies. Quelles sont, à charge et à décharge, les réalités, les avantages et les risques d’une telle annonce de décision et quasi offre en équilibre entre pensée logique et émotion sauf s’il s’agit uniquement de montrer une position forte européenne à V. Poutine dans le jeu du « battez-vous » ?
Par François CHARLES
Economiste, conseil en stratégie, management et affaires européennes, Président de l’Institut de Recherche et de Communication sur l’Europe (I.R.C.E.)
Tout le monde se souviendra de l’intégration en urgence des anciens PECO dans l’UE, dès qu’il leur en a été possible, en passant outre certains critères d’intégration dont ceux sur les minorités, repris par la Turquie disant qu’elle pourrait également intégrer et que l’on verrait ensuite. Tout le monde se souviendra aussi de l’effort des fonds structurels consacrés au détriment des pays plus occidentaux, sauf l’Espagne, avec tout de même certains litiges de versement apparemment désormais consensuellement résolus sur des aspects de gouvernance et non de bonne gestion. On se souviendra aussi du sentiment d’indigestion pourtant avec des pays généralement à culture industrielle, qui ont assez vite profité de l’effet de levier de l’UE et réalisé peu à peu, à des rythmes différents, leur intégration dans une économie de marché. Tout le monde reconnait aussi le courage ainsi que le savoir-faire des Ukrainiens pour résister à l’envahisseur et autrefois propriétaire russe qui aurait pu disposer d’autres méthodes de revendication et de réactions que faire parler les armes usant de l’alibi que les accords de Minsk n’étaient pas respectés.
L’acceptation du dépôt de la candidature de l'Ukraine, que nous découvrons très européenne, n’entraine pas automatiquement acceptation et acceptation ne veut pas dire intégration. Les pays des Balkans le savent bien. Il n’existe pas non plus de précédent car il s’agit d’un pays désormais "en guerre" ouverte contre un pays voisin affiché, contrairement à 2014. Tous les pays de l’UE en consensus s’accordaient à dire il n’y a encore pas si longtemps, que l’intégration n’aurait pas lieu tant que les frontières ne seraient pas rétablies. Les réalités ont évolué et cette condition d’intégrité, peu réalisable depuis l’annexion de la Crimée et la désormais guerre désormais focalisée dans le Donbass, comme peut-être meilleure solution de rechange, espérons temporaire, mais bien entendu inacceptable pour les Ukrainiens, n’apparait plus ou n’est même plus sous-jacente ni un préalable. Si cela est le cas, il conviendra alors de considérer et d’intégrer en même temps la Géorgie qui vit les mêmes problèmes, ainsi que la Moldavie par crainte de ne plus pouvoir le faire une fois sous le possible giron russe. Certains diront qu’il s’agit d’une quasi lutte territoriale mais sous le couvert de valeurs, dont de liberté sociale, défendues par le Conseil de l’Europe, avec la Russie comme membre.
Les institutions européennes, parfois difficiles à comprendre pour le non initié, aident déjà l’Ukraine depuis longtemps à travers sa politique de voisinage pour la restructuration de l’administration, la décentralisation, la lutte contre la corruption, très bien décrite dans « serviteur du peuple », mais aussi à l’écartement des voies de chemins de fer, argument repris par le Président ukrainien en fuite en Russie après les événements de Maidan. L’OCDE apporte également son concours.
Au-delà de l’émotion, ce processus d’intégration de cet immense pays qu’est l’Ukraine rendra plus forte l’UE sur le papier notamment avec un nouveau grenier à blé et une certaine capacité industrielle mais l’engagera dans un nouveau risque économique et sera un vrai défi de solidarité. Reste à mieux comprendre les apports des autres pays cités. Si le jeu en vaut sans doute la chandelle, il s’agira peut-être de créer un fonds spécial en dehors des aides de voisinage et des fonds structurels traditionnels pour isoler et gérer cette aide et cette dette spéciale.