La fenêtre de tir du « pacte keynésien » … c’est maintenant !
La gauche a été élue. Cette crise et la théorie des cycles l’ont beaucoup aidée. C’est donc à elle que revient la lourde tâche de sortir le pays de la crise, de concert avec nos partenaires européens et en regard du pacte budgétaire. Il faut qu’elle prenne des décisions courageuses qui correspondent à son identité, celle d’investir sur le capital humain plutôt que matériel.
Elle doit marcher sur ses deux pieds, assimiler et faire assimiler qu’une intervention forte de l’Etat est également nécessaire sur la gouvernance et l’outil de production. La fenêtre de tir est encore ouverte sauf à mettre la France en danger. Personne n’y perdra son âme si chacun sait faire des efforts.
La droite doit savoir également reconnaitre sa défaite, se réjouir de la quasi-politique de droite menée, plus rapidement qu’en 1981, mais doit aussi donner à la gauche la possibilité d’utiliser sa clé de communication sociale et économique socialiste qu’il convient d’utiliser de façon cyclique en espérant qu’elle fonctionne. Car gare à la planche à secousse en cas d’échec et de reprise en main par la force comme l’a subit la gauche et Pierre Bérégovoy.
Par François CHARLES
Economiste, conseil en stratégie et management, ancien responsable de politique industrielle à la DGA, animateur politique
Nous ne sommes plus en guerre militaire mais en guerre économique.
N’ayant peur de rien si nous oeuvrons pour faire repartir la croissance qui, de fait, réduira le pourcentage de dette publique. Nous sommes conscients qu’il faut un coup de fouet. Mais, contrairement à F. Fillon, j’aime bien ce terme de pacte industriel et non plus de choc car la construction européenne semble fonctionner de cette façon, comme aux Etats-Unis. C’est ce pacte qui a fonctionné en 1936 quand nous avons pris conscience d’un certain retard. A part Louis Renaut à Billancourt et Marius Berliet à Vénissieux, qui n’avaient pas voulu jouer le jeu de la transparence et du non enrichissement, les entreprises avaient accepté de travailler sans faire de profit et l’Etat avait accepté d’assouplir ses règles. Nous connaissons souvent ces dispositions dans l’armement et la défense, secteur budgétaire considéré comme une variable d’ajustement, impliquant choix et sacrifices. La France l’a également vécu après guerre dans l’union nationale et ceux qui se revendiquent du général de Gaulle doivent s’en rappeler.
La France semble être le pays de la protection sociale et l’Allemagne celui du dialogue et de la prise de conscience sociale. Production et social vont de pair. Par expérience, il est possible d’agir sur le social pour faire redémarrer la production en entreprise, encore faut-il en avoir le courage. L’Allemagne ne doit pas être un calque mais un référentiel. A-t-on suffisamment analysé comment elle a réussi sa réunification sans s’effondrer financièrement alors qu’il a été nécessaire de réduire le nombre de salariés par deux pour adapter les entreprises à un modèle capitalistique ? Seuls les pays nordiques ou anglo-saxons peuvent-ils s’en sortir ? Le latin peut également changer. Toujours par expérience, les ouvriers d’Etat étaient prêts à se retrousser leurs manches, voire même de changer de statut du moment que nous avions le courage de partager notre vision.
Sur le plan fiscal, comme je l’ai déjà suggéré, l’intervention de l’Etat peut intervenir dans la régulation par la TVA, taxe universelle et proportionnelle, avec pourquoi pas une TVA à la carte. Mais ce sont surtout les consommateurs nationaux qui font effort et les produits importés sont taxé à notre TVA. CSG et CRDS sont des taxes de surcharge qui devraient peut à peu disparaitre si la dynamique de croissance réapparait plutôt que persister par accoutumance.
L’Etat peut aussi intervenir sur la baisse des charges sur le travail comme le demande ce matin près d’une centaine de grandes entreprises pour leur redonner un peu d’oxygène. Pour revenir à l’Allemagne, seule existe une différence sur les petites entreprises. Les grandes entreprises s’intéresseraient maintenant aussi aux petites qui le subissent davantage alors que j’ai toujours vu le contraire dans les organisations patronales et professionnelles ? Medef et CGPME vont-ils enfin travailler ensemble ? Sont-elles enfin prêtes à mettre en place des accords sociaux unilatéraux ? Partageraient-elles une stratégie alors qu’en réalité elles sont dans une démarche d’achat ? Le chef de l’Etat, socialiste, peut-il avoir confiance ? La baisse de charge pourra-t-elle enclencher un effet de levier important ? Comment s’y retrouver ? Bien entendu, le chef de l’Etat n’oublie pas que le PIB se calcule aussi sur les emplois administratifs. Mais c’est le système productif des biens de consommation qui tire essentiellement la croissance.
S’agissant de la réduction du temps de travail et de la fiscalisation des heures supplémentaires, l’Etat ne peut toutefois obliger les entreprises existantes à embaucher et ce sont les agences d’intérim qui vont profiter de ces dispositions, tout en faisant baisser le chômage. CQFD. Rappelons que la durée du temps de travail multi-salariée est de 10 h par jour, 48 heures par semaine avec un jour de repos. Je ne suis pas non plus certain qu’il fallait également mettre en place un régime d’auto entrepreneur chargé au premier euro.
Dans cette période de crise, les entreprises doivent pouvoir travailler à coût objectif, à livres ouverts avec bonus et malus mais aussi comme créancières. L’Etat peut demander de travailler « dans l’intérêt général », sans profit court terme mais avec prime de compensation à terme pour les entreprises qui auront accepté le pacte. D’autres peuvent aussi être récompensées à terme si elles acceptent de supporter la titrisation d’une partie des dettes existantes ou futures de l’Etat ou des collectivités. Et pourquoi pas ?
Après avoir tenté en vain de faire sortir les Ateliers Industriels Aéronautiques du cadre administratifs pour les rendre plus performants, et les inclure dans un club européen de maintenance, j’ai réussi, 7 ans après, à obtenir qu’une partie de leurs outils industriels étatiques soit ouverte contractuellement aux PME qui en auraient besoin pour éviter un investissement. La gauche peut continuer sur cette lancée pour enfin faire germer le portage entre petites et grandes entreprises que nous déplorons tous les jours dans l’export et la recherche.
La nouvelle banque est une avancée. Elle oblige désormais la Caisse des dépôts à gérer tous les fonds OSEO et FSI. Il s’agira aussi de prendre des risques et intervenir en haut de bilan. Les mici-dominici du redressement productif recensent les problématiques financières. C’est déjà une première étape mais il faut penser le changement plutôt que changer le pansement. La gauche peut aller encore plus loin sur ce que la droite ne pouvait se permettre d’engager.
Il n’est pas forcément question de copier la spectaculaire croissance de l’URSS qui reposait sur une dynamique extensive de fabrication de biens de production, avec ses risques liés quant aux biens de consommation, mais plutôt se battre contre le chômage. L’Etat, comme les collectivités, peuvent intervenir en capital pour reprendre ou créer des entreprises dans les zones économiquement faibles mais avec dégagement programmé laissant le temps aux structures privées de prendre le relais. Avec un recensement efficace, le potentiel machine existe déjà, souvent inexploité voire inutilisé. Le potentiel humain existe aussi chez les jeunes souvent désoeuvrés et les chômeurs qualifiés ou non, pouvant être encadrés et vite formés par les retraités. La production doit bien entendu correspondre à une demande. Pourquoi ne pas réfléchir à la réalisation de produits bon marché car peu techniques, fabriqués moins chers et rapidement avec une main d’œuvre en salaire limité sur une période donnée ? Mais pourquoi ne pas demander aussi aux grands donneurs d’ordres de faire travailler des ateliers français, comme Lejaby a su le faire ou d’autres dans le domaine du luxe ?
Ce n’est pas forcément le rôle de l’Etat que de prendre en main la création d’entreprises, qu’elles soient EPIC, EPCST ou sociétés nationales ou quasi nationales. Mais il est mieux de payer des salaires que des allocations et nous avons su le faire dans le domaine industriel stratégique à la sortie de la guerre pour des entreprises qui sont maintenant privées. Cette politique de haut de bilan national, même temporaire, est possible avec un gouvernement de gauche pour sauver ou relancer des emplois car c’est son identité.
Bruxelles risque de tousser et ne pas aimer ces aides d’Etat déguisées mais si c’est bon pour la France et pour l’Europe fédérale afin d’augmenter la croissance et faire baisser la dette…