Législatives 2024 : la France va devoir continuer à redécouvrir les arrangements parlementaires
Au lendemain de la nouvelle élection législative française, on peut se demander ce qui a changé à l’assemblée nationale, qui soit disant ne pouvait pas fonctionner sauf à trouver des arrangements perturbants au cas par cas, notamment entre certains blocs de part et d’autre du large centre macronien, comme dans de nombreux pays et au Parlement européen où se joue un vrai débat que certains diront plus démocratique, en contradiction des habitudes de la 5e république, crée surtout, de façon quasi unique en Europe pour donner certains pouvoir régaliens au Président afin de pouvoir fonctionner sans majorité et sans devoir en référer, et éviter une sorte de « chienlit », même si ce mot est apparu non pas en 1958 mais en 68.
Par François CHARLES
Economiste, politologue, conseil en politique générale des organisation, président de l’Institut de Recherche et de Communication sur l’Europe
Rappelons les chiffres. Avant E. Macron se plaignait de ne pas fonctionner avec la Nuppes 133 sièges, divers gauche 20, Parti présidentiel 245, LR 64, RN 89, autres 26. Désormais l’Assemblée nationale française se compose sine die de NFP 180 (LFI 71, PS 64, EELV 33, PC 9, autres 3), Ensemble 163 (Renaissance 98, modem 34, Horizon 26, autres 5), LR et alliés 66 (LR 39, DVD 27), RN et alliés 143 (126 + 17) et autres 25. En nombre de voix exprimées, la droite est majoritaire, si tant est à prouver finalement que le RN est à droite dont les électeurs peuvent passer et venir directement de la gauche et inversement. Le RN est le principal parti avec quasi 10 millions de voix soit 29,25% au premier tour puis 32% des suffrages. Qu'en dirait Donald Trump qui était dans le même cas ? Au moins le RN n'a pas demandé à prendre d’assaut l'assemblée nationale. Qu'en sera t il du front populaire ? Si la proportionnelle était en vigueur, il serait au gouvernement. Puis viennent l’Union de la gauche 27,9 puis 25,6%, Ensemble 20 puis 23,14%, LR 6,57 puis 5,41%. Difficile donc de savoir qui a vraiment gagné ou perdu sauf RN qui augment de 50% ses députés et peut-être le camp présidentiel qui se maintient grâce aux désistements, voire LR qui croit encore exister et avoir un poids, sans compter ce front populaire véritable puzzle d’identité et de revendications assemblées à la vas vite, prêt à exploser à la moindre étincelle. Nous n’avons pas de majorité absolue, avec plutôt trois blocs et surtout des minorités. Dans tout ceci, on peut même se demander si E. Macron a-t-il bien perdu ?
Le 18 juillet, les groupes devront être formés et rien n’indique que la gauche soit majoritaire même avec un ancien front républicain. Le jeu du qui perd gagne arrive aussi dans les possibles nominations qui peuvent avoir également un impact sur les prochaines présidentielles et législatives. Une nouvelle ère, ou plutôt un nouveau cycle commence avec un centre de gravité davantage dans les mains du Parlement comme le dit l’actuel Premier ministre. L’hémicycle ressemble un peu plus à celui du Parlement européen où les accords et les alliances sont réguliers en fonction des dossiers, ceci étant généralement ensuite mis en avant au niveau national lors des élections par des députés européens eux-mêmes !
Je ne reviendrai pas sur la cause de la dissolution en notant d’ailleurs que personne n’a imaginé qu’avec ou sans jeux psychologique du « vous voyez bien comme j’ai essayé », et en répondant à la demande de J Bardella, E. Macron avait en fait eu envie de donner le pouvoir au RN par crainte du désordre de la gauche, avec un budget difficile mais plus cohérent et possible qu’un programme idéologique de gauche comme en 1981 qui devra changer de braquet pour ne pas être supporté par le FMI, voire même les Allemands en solidarité de complaisance, même avec mille milliards de dettes, sauf peut-être revenir sur les retraites ?
Constitutionnellement, le gouvernement a posé sa démission, ne peut être contredit, ne peut pas prendre de décisions de politique générale et peut rester peut être un an pour assurer les affaires courantes au niveau technique, comme assurer par exemple les Jeux Olympiques, ou procéder par décret en cas d’attentat ou urgence sécuritaire, même peut-être sur le budget en septembre en reconduisant celui de l’an dernier. D’autres démocraties le connaissent comme l’Espagne la Belgique et même l’Allemagne qui ont mis plusieurs mois à trouver un consensus, s’en sortent bien et qui comprennent qu’un compromis n’est pas une compromission, comme pour le désistement lors d’un vote au second tour. Mais la culture française est bien particulière comme peut-être la hongroise au sein de l’Europe dans certains sens.
A priori, le 9 août les ministres devront choisir de rester ou de quitter le gouvernement, « technique » ou non. En 1958, la constitution a été créée pour permettre à un pouvoir minoritaire de pouvoir gouverner. La majorité absolue est finalement assez récente. Aucun texte ne prévoir de durée légale, comme d’ailleurs le fait que le Président use de certaines fonctions par rapport au gouvernement et certains partis peuvent aussi en jouer en terme de revendications. L’Assemblée est là au moins pour un an sans que le gouvernement ne dure forcément un an. En lisant les articles 8 et 49, le Président, qui s’appuie sur la constitution française, comme il l’a dit au Parlement européen, peut nommer qui il veut et pourquoi pas finalement quelqu’un du Rassemblement national. S’il refuse un nom de Premier ministre, il devra en trouver un qui ne pourra pas être renversé par l’Assemblée nationale avec une motion de censure à la majorité absolue… d’où la recherche de coalition ou de personnalité acceptable et consensuelle.
Du côté des partis, JL Mélenchon, qui ne sera pas Premier ministre car veut rester en lice pour la présidentielle, comme Marine Le Pen, dit sans crainte que le programme peut être pris par décret sans vote. Il connait pourtant bien la constitution et sait que ce n’est pas possible et que seule une loi peut abroger une loi et non un décret sauf à faire une révolution « insoumise », ne respectant que ses règles, et dissoudre la 5e république. Et d’ailleurs, LFI, première force de NFP, qui peut se dissoudre une nouvelle fois aussi vite qu’il s’est recréé, réclame désormais seule le pouvoir et accuse E. Macron de vouloir rester par la force, de ne pas respecter ce qui sort des urnes, comme s’il s’agissait d’une élection présidentielle, rejoint par les écologistes désormais quasi inexistants, argumentant sur un possible déni de démocratie d’utilisation du 49,3 pourtant inscrit dans la constitution. Dire qu’ils ont gagné me faisant penser à l’histoire de la souris et de l’éléphant marchant tous deux dans le désert et soulevant la poussière. LFI claquera-t-elle la porte si un socialiste plus « acceptable » comme l’ancien Président F. Hollande qui avait trouvé l’astuce du CICE, voire même l’ancien Premier ministre B. Cazeneuve arrive à Matignon et/ou à la présidence de l’Assemblée pour au moins s’attaquer au pouvoir d’achat, à la sécurité, à l’émigration qui peuvent être des curseurs communs.
Sachant que des élections peuvent avoir lieu dans un et trois ans, il est difficilement imaginable qu’un gouvernement de coalition arrive en France comme avant et après guerre même avec davantage de votes de barrages que de conviction avec désistement et avec des ressentis plus négatifs que constructifs, mais rien n’est impossible pour un Gaulois on le sait bien.
Et l’Europe dans tout ça ? Sans revenir sur les causes et le coup de théâtre du big bang, tout va continuer comme avant car le système confédéral/fédéral en place, également sans alignements automatiques de toutes les planètes entre l’UE et les Etats-membres, va assurer une certaine stabilité sine die dans une Europe d’autant plus unie dans la diversité et de mouvance notamment au niveau politique. L’activité, l’étonnement, le stress, la veille et la remise en cause sont aussi des moteurs de protection et de développement dans les choix de politique générale en particulier sur la stratégie, la structure, l’identité et la prise de décision.