POUR UNE VRAIE POLITIQUE INDUSTRIELLE
Nicolas Sarkozy prend son téléphone et une usine (et pas une entreprise) est sauvée par un grand patron acceptant l’idée de possible diversification des salariés et s’engageant à acheter la production mais avec quels risques et pour combien de temps ? Merci monsieur le Président et merci à cet industriel du luxe. On se souvient aussi du Président Chirac super VRP à l’export et sûrement sans calcul politique pour faire référencer nos entreprises. Je dis bravo car j’en ai fait autant dans l’administration et continue à essayer de le faire dans mon nouveau positionnement pour préserver notre industrie et nos services.
Par contre, on voit que le porteur de sens est en fait manager opérationnel pour éteindre le feu comme un général reprenant la baïonnette. Outre le fait que cela semble naturel chez ces chefs d’Etat, où certains « facilitateurs en dehors du cadre », parfois même blâmés pour leurs actions, cela démontre néanmoins un sempiternel manque d’efficacité ou de vision, voire de dysfonctionnement assourdissant des ministères, des chambres de commerce et des régions, qui pourraient « penser autrement pour agir autrement » avec un certain décloisonnement national.
Cela démontre également un manque de lien permanent, sauf en cas de besoin, entre l’entreprise, les collectivités et l’Etat. Et ne venez pas me dire que cela marche ! Lors des Etats généraux de l’export en Bourgogne, j’avais l’impression d’être à l’âge de pierre ! Je pensais que l’intelligence économique était passée par là…
Par François CHARLES*
* conseil en stratégie et management en Europe, économiste, ancien responsable de politique industrielle et d’intelligence économique à la DGA, au ministère de la défense
L’absence d’intérêt du ministère de l’économie et de l’industrie sur ma demande de décision politique d’ouverture des moyens industriels des derniers ateliers industriels étatiques, au profit des PME me désole. Je profite de cette occasion pour réaffirmer ma vision de transformer la maintenance aéronautique militaire en établissement public ou société nationale pour une meilleure responsabilisation, transparence des coûts, et efficacité en partenariat naturel ou forcé avec les entreprises privées du secteur.
En politique générale, j’enseigne que l’objectif d’une politique est d’établir « une règle de conduite décidée pour une certaine période de temps en vue d’atteindre certains objectifs généraux ». Elle se rapproche de la stratégie qui pose les questions quoi ? pourquoi ? et quand ? Elle est une « orientation fondée sur la base d’une analyse multicritères visant à atteindre, ou non, de façon déterminante et à long terme, un certain positionnement contre certains adversaires avec un impact sur les activités et structures de l’organisation »
Cette politique, qui doit donner une vision, un cap, peut être libérale et sociale dans le sens où elle doit définir le cadre de travail mais ensuite inviter les entreprises à y venir travailler à livres ouverts, à couts objectifs, avec bonus et malus sans oublier les composantes humaines et certaines réalités. Libéral ne veut pas dire laisser faire.
La politique industrielle n’est pas que financière même si sauver une usine, c’est aussi trouver une solution financière. Il s’agit de revoir la base de la stratégie commerciale et industrielle, ainsi que l’organisation. Parfois les sociétés de capital risque sont de vrais acteurs de politique industrielle car ils préservent pendant une certaine durée des joyaux qu’ils ont vus comme stratégiques et porteurs en espérant que cette fois la fée « repreneur » se penchera enfin sur leurs berceau quand ils se retireront.
Des fonds sont créés pour aider les PME comme la Corée le faisait longtemps avant nous. Je pense que l’Etat doit prendre certaines prises de participation dans les industries ou sociétés de service identifiées comme stratégiques depuis 10 ans et prendre une place de co-décision en respectant la prise en compte des réalités de la concurrence et de l’entreprise. Je soutiens également la possibilité, par les régions, d’intervenir en haut de bilan d’entreprises stratégiques à préserver ainsi que la création de fonds régionaux.
Par expérience, certaines entreprises bénéficient ou se sentent prisonnières, en fonction des dossiers, de la tutelle ministérielle notamment dans l’armement et dans le transport aérien. Dans le premier cas, le vrai contrôle réside l’interdiction d’exporter. Même majoritaire, l’Etat ne tient pas à s’investir et remplacer le rôle de l’industriel et traite de dossiers au cas par cas au bon vouloir et derrière la puissance de ce dernier. Ceci n’est pas acceptable. Les fonctionnaires nommés en conseil d’administration diront peut-être le contraire et leur compétences limitées du fonctionnement des entreprises y est sans doute aussi pour quelque chose.
Une politique industrielle passe par la capacité à donner l’exemple et agri avec force et vision pour l’emploi des fonds publics. Quand on voit les résultats souvent sans aboutissements des alertes courageuses de la Cour des Comptes, comment pouvons-nous aborder une politique industrielle ! Et que dire des autres domaines comme par exemple la politique sociale, de santé et des transports que j’aborderai dans un autre article.
S’agissant du domaine automobile, par connaissance des marchés et réalités internationales, je respecte la décision du président de Renault de fabriquer à l’étranger tout en conservant certains organes clés de valeur ajoutée en France comme les batteries et les boîtes de vitesses ou les moteurs. Mais ces voitures doivent-elles être vendues en France ? Certainement pas. Mais n’oublions pas qu’il s’agissait d’une anomalie comme quand trois dirigeants ont été accusés, sans preuves, d’espionnage économique. N’oublions pas que la LOGAN, qui était destinée pour les marchés extérieurs, a créé un vrai bouleversement inattendu du marché français de la petite voiture quand elle a été exposée et que tout le monde l’a désirée. Et pourquoi est-elle donc commercialisée sous la marque Renault en dehors de nos frontières ? Elle a eu le mérite d’assainir le parc français en voyant revenir des voitures de 500 000 km. Je considère qu’une fabrication en Europe sauve une certaine logique avec des coûts du travail moindres encore au Portugal ou dans les pays de l’Est mais peut être plus pour longtemps. Que Carlos Ghosn n’oublie pas non plus que la gestion de projet à coût objectif de la Twingo est restée un modèle et que maître d’œuvre et sous-traitants peuvent travailler ensemble, ces derniers pouvant eux-mêmes aller chercher d’autres solutions.
Réinstallons une vraie politique industrielle comme nous l’avons vécue avec le Général de Gaulle, et comme continue à le faire le Japon mais avec cette fois des réalités européennes.
Une vraie politique industrielle signifie une stratégie partagée entre niveaux industriels pas uniquement à cause d’un système d’information ou d’une normalisation commune mais pour une anticipation des besoins, des investissements, des carnets de commande pour éviter que certains sous-traitants aient affaire à des « acheteurs ». Attention en cela aux discours de certains dirigeants de grands groupes qui ne correspondent pas à la réalité du terrain. Une vraie politique industrielle signifie des prises de participation dans les groupes ou entreprises jugés stratégiques pour nos intérêts vitaux ou signifie opérer une vraie force de tutelle pour avoir un mot à dire même si le dirigeant ou l’actionnaire majoritaire veut abandonner ou en faire « à sa tête » refusant tout contrôle parfois nécessaire, alors même que l’Etat est propriétaire à 97%. Une politique industrielle signifie un portage qui ne fonctionne absolument pas aujourd’hui au niveau national entre les entreprises de taille différente et une veille sur la continuité des liens avec les PME nationales dans le cadre des marchés exports et notamment de haute technologie. Cela signifie savoir mettre les PME sous « couveuse » en incubateur sous l’ombrelle des groupes ; cela signifie une vraie définition, un pilotage et un suivi courageux des objectifs avec recadrages potentiels ; cela signifie d’établir une optimisation financières et qualitative des initiatives de recherche nationales, régionales, transrégionales, et la stabilisation voire la réduction des pôles de compétitivité. Je salue en passant la réduction du nombre de bases de défense dans un souci d’optimisation industrielle et opérationnelle.
Cette politique industrielle peut être régionale mais dans une dynamique nationale et dans des réalités et une vision européenne, en évitant de faire « des coups » mais en développant plutôt une vraie stratégie et des objectifs précis, mesurables, réalisables et déterminés dans le temps. Il ne s’agit pas d’établir in fine un état des actions avec comptabilisation des sommes investies. Les retours d’expérience régionaux comme par exemple Alizée en Cote d’Or dans le domaine administratif, doivent être partagés au niveau national pour une optimisation des actions en considérant que la concurrence entre régions doit se faire au niveau européen et non pas au niveau national.
Et pourquoi pas une politique industrielle européenne intérieure cohérente avec sa politique extérieure ? Elle passerait par une vraie segmentation du travail comme celle d’Airbus avec des savoir-faire complémentaires, certes difficile à faire dans le domaine de la haute technologie, chacun voulant tirer la couverture à soit de par la valeur ajoutée qu’elle représente ; elle passerait par une révision de la vision de la concurrence et une protection des savoir-faire dans un Buy European Act, comme le Buy Americacn Act, privilégiant les achats européens sans interdire les autres. Cette protection commune limiterait certainement de facto la surveillance et la limitation de l’intervention des Etats de façon souveraine pour ne pas fausser la concurrence. Enfin, une vraie politique industrielle européenne trouverait sa voie au sein des affaires industrielles de défense au sein de l’OTAN, véritable lien d’échange en dehors des processus traditionnels de l’Union et vecteur d’intégration européenne.